jeudi 21 juin 2012

immunités parlementaires en France

Que se passe-t-il avec les immunités parlementaires en France ?


lundi 18 juin 2012

immunités parlementaires des députés au Québec

Que se passe-t-il avec les immunités parlementaires au Québec ?


L'arrestation de M. Amir Khadir, député de Québec Solidaire, soulève une grande question qui n'est pas sans importance mais que personne n'a encore abordé à ce jour : comment protéger un député contre l'arbitraire d'un gouvernement ? En principe, les immunités parlementaires protègent les députés au Québec et dans l’ensemble du Canada contre les dérives anti-démocratiques d'un régime, mais le Gouvernement Charest n'en moque manifestement royalement. S'il ne respecte pas le droit de manifester du peuple et refuse d'entendre le cri de détresse des étudiants qui ne peuvent pas supporter une hausse de droits de scolarité de plus de 75%, il ne respecte même pas la liberté d'expression d'un député qui les défend en participant à leurs manifestations ni l'immunité d'arrestation dont dispose tout député. Peu de gens le savent ou s'en préoccupent.

Ce qui soulève pas mal de questions. Que penser de l'attitude du Gouvernement Charest et de celle des policiers du Québec, plus précisément de  ceux de la ville de Québec qui n'ont apparemment pas le même discernement que ceux de Montréal et qui en plus bafouent sciemment les immunités d'un parlementaire ? Comment se fait-il que M. Amir Khadir, député de Québec Solidaire dans Mercier, ne les ait pas invoquées ? Pourquoi aucun média n’a soulevé cet aspect important du droit constitutionnel canadien ? Les médias n'ont-ils pas un devoir sacré d'information ? Font-ils le jeu du pouvoir en place volontairement ou à leur corps défendant ? Est-ce normal dans une société démocratique qu'ils ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir ? L'arrestation de M. Amir Khadir est-elle justifiée en droit d'une quelconque façon ? N'est-ce pas au fond le mandat et le devoir d'un parlementaire de faire progresser la législation, d'instaurer plus de démocratie et de s'opposer à ce qui est illégitime ou semble fondamentalement injuste, même s'il s'agit d'une loi ? Que penser de la gestion de la crise sociale par le gouvernement et de la désobéissance civile comme moyen de pression ? Que faire quand un gouvernement laisse pourrir une situation, refuse de dialoguer comme il se doit et bloque sciemment le fonctionnement normal de la démocratie ? La mise en oeuvre des immunités parlementaires ne permettrait-elle pas de résoudre le conflit ? Sommes-nous dans une république de bananes ?

Voici donc quelques commentaires et pistes de réflexion pour essayer de réfléchir sur les immunités parlementaires au Canada et au Québec, leur utilité et l'importance d'y recourir si nécessaire, en particulier, et sur le fonctionnement actuel de la démocratie québécoise, de manière générale.

Arrestation d'un député : une première dans l'histoire du Canada

Comme le monde entier le sait maintenant, M. Amir Khadir, député de Québec Solidaire, a été arrêté dans la soirée du mardi 5 juin 2012 tel que l'ont rapporté Radio-Canada.ca et pratiquement tous les médias de tous les pays, ce qui entache sérieusement notre image de démocratie. Par delà les divergences d'opinion des uns et des autres, que peut-on en penser ? Quelles leçons peut-on en tirer ?

A titre de rappel historique, l'arrestation d'un député, pour des raisons politiques, est une première dans l'histoire moderne du Canada, si on met à part l'arrestation le 24 novembre 1837 de plusieurs hommes politiques et militants patriotes soupçonnés de haute trahison, dont le député Robert Nelson, lors de l'insurrection du Bas-Canada, du temps où le Canada était une colonie britannique, et bien sûr celle de Louis Riel, père de la Confédération canadienne et fondateur de la province du Manitoba, qui a été injustement condamné à mort pour trahison le 16 novembre 1885.

Comme l'a si bien écrit Sir Wilfrid Laurier concernant ce qui amené Louis Riel à se révolter : «Ce qui est détestable, ce n'est pas tant la rébellion que le despotisme qui engendre la rébellion; ce qui est détestable,..., ce sont les hommes qui, ayant le pouvoir de redresser les torts, refusent de prêter attention aux pétitions qu'on leur adresse;....» Cela reste vrai, en tout temps et en tout pays, même si on ne peut pas comparer le triste sort de Louis Riel et la regrettable arrestation M. Amir Khadir.

Outre le fait qu’il est foncièrement anti-démocratique et complètement irresponsable de la part d’un gouvernement d’arrêter, de menotter et d’emprisonner un député, ou un simple citoyen, qui ne fait qu’exprimer son opinion pacifiquement, sans aucune violence et sans porter atteinte à l’ordre public, il est totalement illégal, en vertu des lois canadiennes, d’arrêter ainsi un député québécois (et de toute autre province), car tout parlementaire est protégé dans tout le Canada, tant au fédéral qu’au provincial, par ce qu’on appelle les immunités parlementaires.

Une arrestation politique arbitraire et illégale

Il importe tout d’abord de souligner que M. Amir Khadir n’a pas commis une infraction de caractère criminel, en tant que citoyen ordinaire (contrairement au député Gilles Grégoire qui fût arrêté une première fois le 16 février 1965 pour deux infractions au code de la route, après que l'Assemblée nationale du Québec ait donné son autorisation, puis condamné en 1983 pour une affaire de moeurs), mais uniquement un acte de nature politique, un geste de solidarité avec son peuple, en tant que député.

Plus précisément, il a participé à une manifestation contre quelque chose d’illégale, à savoir
- contre la hausse de frais de scolarité, qui est illégitime (non pas simplement selon les intéressés, mais aussi en vertu du droit canadien actuel), et surtout
- contre les moyens utilisés pour l'imposer de gré ou de force (la Loi 78 et le refus de dialoguer du Gouvernement Charest), qui sont tout aussi illégitimes à différents niveaux comme on le verra plus bas.

Juguler la liberté d'expression, comme le fait la "Loi 78", constitue une grave atteinte aux principes de la "Charte canadienne des droits et libertés" et aux fondements mêmes de toute démocratie, tels que définis par la "Déclaration universelle des droits de l'homme", qui a été adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies, dont fait partie le Canada, mais arrêter un parlementaire, pour de tels motifs, est aussi anti-constitutionnel au Canada et dans la plupart des autres pays libres et démocratiques.

Non seulement la Loi 78 contrevient en elle-même aux art. 9, 18, 19 et 21 du "Pacte international relatif aux droits civils et politiques", mais ce qu'elle veut combattre et qu'elle souhaite instaurer à la place est fondé sur des motifs politiciens qui vont à l'encontre des art. 8, 13 et 14 du "Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels", lesquelles deux conventions, adoptées le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations unies font partie intégrante du droit canadien et du droit québécois depuis 1976, n'en déplaise à M. le Premier Ministre du Québec, qui prône le respect de la loi mais qui l’ignore quand ça ne l’arrange pas.

La Loi 78 bafoue le droit à l’éducation accessible à tous

Quoique l'éducation soit de compétence provinciale (au niveau de son contenu et de sa gestion), il est important de rappeler que le Canada a adhéré, le 19 mai 1976, et par voie de conséquence le Québec aussi (au niveau des principes à respecter), à ces deux conventions internationales qui sont très importantes en matière d'éducation et en ce qui concerne d'autres droits, notamment ceux touchant la liberté d'expression.

D'une part, le Canada a signé le "Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels" dont l’article 13 stipule que « L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité », et ce de la maternelle jusqu’au doctorat en passant par le primaire et le collégial.

Ceci soulève quatre grandes questions, parmi bien d’autres. Pourquoi le Canada a-t-il signé cette convention internationale s’il n’entendait pas la respecter et la faire respecter par les différentes provinces ? Comment M. Charest peut-il reprocher aux leaders des associations étudiantes de manquer de crédibilité, pour ne pas avoir réussi à faire accepter par leurs membres l’entente de principe conclue le 06 mai 2012 avec Mme Line Beauchamp qui était alors ministre de l'Éducation, s’il ne respecte pas lui-même les engagements internationaux passés par le Canada ? Un gouvernement peut-il légitimement faire n’importe quoi durant toute la période qui s’écoule entre deux élections, y compris violer la constitution ou outrepasser la loi ou ses droits, sous prétexte qu’il a le pouvoir ? Est-il raisonnable de devoir aller en cour, d'attendre la décion du tribunal et de payer des frais d'avocat pour corriger le tir et en plus de devoir attendre des mois une nouvelle élection pour pouvoir infléchir une politique gouvernementale qui a de graves conséquences sur la vie des gens, des étudiants aussi bien que des autres citoyens, et alors que le monde va si vite maintenant ?

D'autre part, Le Canada a également signé *sans aucune réserve* le "Pacte international relatif aux droits civils et politiques", et ce contrairement aux États-Unis qui y ont adhéré en 1992 en y apportant tellement de réserves qu'il est rendu en grande partie non exécutoire dans la législation de la plupart des États américains (d’où le fait que certains États peuvent encore pratiquer la peine de mort, être contre l'avortement ou s’opposer aux mariages homosexuels).

Outre les aspects légaux évoqués plus haut, cette adhésion fait tomber tous les autres arguments qu'avance le gouvernement. Certes, on peut en rigoler plus ou moins, comme dans la vidéo ci-dessous, mais le sens de l'humour mi-figue mi-raisin de M. Charest n'est malheureusement pas juste pour rire.

On ne peut pas décemment prôner la primauté du droit et violer la loi en même temps. En faisant tout le contraire de ce que requiert un état de droit, le gouvernement actuel du Québec démontre au monde entier qu’il ne respecte pas ses engagements internationaux, en tant que province canadienne, d'instaurer la gratuité jusqu'au niveau universitaire et même pas ses propres engagements, pris lors des élections de 2003, de geler les droits de scolarité, et a fortiori de ne pas les augmenter.

On ne peut pas en même temps s’engager par contrat international à instaurer la gratuité et prendre comme modèle le système éducatif américain qui est aux antipodes. Aussi, se référer à la théorie de l’utilisateur-payeur et se comparer aux États-Unis concernant les frais de scolarité est un non-sens absolu en l’état actuel du droit. De même, le concept de juste-part tombe ipso facto. Si le Québec est l'endroit où les frais de scolarité sont les moins élevés parmi les pays anglo-saxons de tradition britannique, les étudiant paient pratiquement rien ou rien du tout partout ailleurs.

Autrement dit, ce que fait actuellement le Gouvernement Charest est triplement illégitime, illégal au plan québécois, anti-constitutionnel au plan fédéral et contraire au droit international, et cerise sur le gâteau, il est en plus profondément anti-libéral en s'attaquant aux libertés fondamentales qu'un parti libéral est censé défendre plus que tous autres partis, en principe, ce qui est d'un illogisme le plus complet. Il est désolant de voir autant de gens ignorer la loi, mais il est lamentable et impardonnable que le gouvernement d'une démocratie la bafoue aussi honteusement au vu et au su de tout le monde comme si tous les gens étaient des ignorants ou des imbéciles.

Une grave méconnaissance des réalités du monde

En outre, l'attitude de M. Charest envoie un très mauvais message au monde avec la Loi 78. Par ex., le gouvernement russe, qui n'attendait qu'une belle excuse démocratique pour sauter sur l'occasion, fait maintenant la même chose dans son pays en se servant tout bonnement du modèle québécois. Quoiqu'il ne s’y attendait sûrement pas et que cela ne l’aurait pas empêché d’agir comme il le fait, il a trouvé une justification toute faite pour donner une certaine légitimité juridique à sa répression, puisqu'on ne peut pas taxer de dictature le Québec.

Dès que la Loi 78 a été adoptée, le 18 mai 2012, le Président Vladimir Poutine s’en est en effet aussitôt inspiré pour faire passer une nouvelle loi, le 06 juin 2012, quasiment similaire au niveau des moyens utilisés et des amendes infligées (aux participants, aux organisateurs et aux associations politiques et syndicales), ce qui lui permet de juguler son opposition tout à fait légalement, en ne faisant en somme que ce que fait une "société moderne et démocratique pour encadrer les manifestations dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens" telle que le Québec, pour reprendre ce qu'a dit M. Charest dans le journal Le Monde. Quel bel exemple de recul démocratique donné au monde!

Par ailleurs, en écrivant ainsi dans ledit journal français Le Monde, M. Charest a manifesté sa méconnaissance de ce qui passe en France et ailleurs dans le monde en matière d’éducation, et il s’est en plus couvert de ridicule car il espérait convaincre de la justesse de ses arguments des lecteurs d'un pays où les frais de scolarité sont beaucoup moins élevés qu'au Québec et où les gens sont fiers de faire progresser la société en menant si nécessaire des luttes sociales qui sont très loin d'être de simples concerts de casseroles.

Faut-il rappeler que c’est uniquement en Amérique du Nord où les droits de scolarité sont aussi élevés dans les établissements publics, alors que partout ailleurs l’enseignement public est pratiquement gratuit, soit sans aucun frais de scolarité pour tout le monde, soit doté d’un système de bourses (non remboursables, contrairement aux prêts) qui assure la gratuité complète pour les moins fortunés ? Faut-il rappeler que les grandes écoles et universités privées de pratiquement tous les pays étrangers sont beaucoup moins chères que celles des États-Unis ? Faut-il rappeler aussi que dans les pays scandinaves les étudiants sont payés pour étudier et que même les pays les plus pauvres de la planète, notamment ceux d’Afrique francophone, tels que par ex. le Burkina Faso, se font un honneur de supprimer tous les coûts de l’éducation ou au moins de les réduire au plus bas niveau possible (non pas simplement les frais de dossier et les droits de scolarité, mais y inclus aussi le coût d'achat des manuels, les frais de repas et d'hébergement et les primes d'assurance) ?

On ne peut pas en même temps prôner la productivité des entreprises au nom de la mondialisation et ne pas se mettre au même niveau de compétitivité que les autres pays. Ne pas se mettre au diapason, et en plus vouloir brimer le droit à l'éducation pour tous, est un non-sens économique, car c’est profondément contraire à l'intérêt bien compris de la Nation d'assurer le meilleur avenir possible aux jeunes, de stimuler l’économie grâce à un niveau plus élevé d’éducation, d’augmenter le niveau de vie grâce aux nouvelles richesses créées par des gens mieux formés et capables d’innover, et de pouvoir par la suite récolter plus d’impôts grâce à un plus grand nombre de salaires plus élevés et de produits consommés.

C’est pour toutes ces raisons que les étudiants manifestent contre la hausse des frais de scolarité, et qu’en l’occurrence le député Amir Khadir s’est fait arrêté par la police de Québec malgré la loi qui stipule que tout parlementaire de toute province canadienne dispose de l’immunité d’arrestation (dite en anglais “freedom of arrest” ou “freedom from arrest”).

L'importance fondamentale des immunités parlementaires

Concernant les immunités parlementaires, qui sont pourtant un aspect essentiel des droits et libertés dans toute démocratie, il est fort étonnant que les médias n'aient pas soulevé ce point et n'en parlent toujours pas, et il est carrément incroyable qu'aucune personne, ni journaliste, ni député, ni autre, ne semble les connaître ou vouloir manifester et protéger leur existence, y compris M. Amir Khadir lui-même qui ne l’a pas invoqué dans sa conférence de presse, peut-être parce qu'il était bombardé de questions pas toutes très intelligentes et d’une grande qualité professionnelle, ou probablement par esprit démocratique de ne pas profiter de ce privilège parlementaire issu des lois britanniques, et très certainement par souci de solidarité avec le peuple, pour ne pas être au-dessus les lois.

Et quand on voit des députés libéraux accepter ou admettre son arrestation ou même s'en féliciter, et même prôner son incarcération, c'est proprement sidérant, du moins de la part de tous ceux qui prônent le respect des lois et a fortiori de la part de ceux qui font les lois. Ne voient-ils donc pas que les immunités parlementaires servent également à les protéger eux-aussi, notamment quand ils seront dans l'opposition ?

Certes l’attitude du député Amir Khadir l’honore, d’une certaine façon, en tant que partisan de l’indépendance du Québec, mais il me semble important de reconnaître l'importance fondamentale des immunités parlementaires, qui incluent notamment la liberté de parole et l’immunité d’arrestation. Cet ensemble d’immunités, qui déroge en quelque sorte au droit commun, uniquement dans un but bien précis, celui de protéger le Parlement et ses membres, doit être absolument protégé, car sinon la démocratie devient un vain mot.

En effet, contrairement à ce qui est dit ici et là, un député n'est pas un citoyen comme les autres, de part les fonctions qui lui sont confiées par ses électeurs, notamment celle de pouvoir s’opposer au gouvernement dont il est le gardien, celle de le questionner dans ses actions, celle de le ramener à la raison quand il erre en droit, etc., et éventuellement celle de le faire démissionner en cas de mauvaise gouvernance.

Si les institutions de droit commun (civiles, commerciales, pénales, administratives et autres) offrent, en principe, un recours efficace et suffisant aux citoyens dans le cadre des diverses activités qu'ils peuvent avoir et concernant les différents litiges auxquels ils peuvent faire face le cas échéant, il n'en est pas de même des députés qui doivent lutter constamment contre le gouvernement, non pas éventuellement mais certainement et régulièrement. Il importe en effet que le pouvoir exécutif ne puisse pas entraver d'une manière ou d'une autre les députés dans l'exercice de leur mandat.

Par ex., un député peut avoir accès à des documents qui ne sont pas habituellement accessibles à des citoyens ordinaires, que ce soit des documents nationaux de nature confidentielle aussi bien que des documents étrangers pouvant concerner la sécurité nationale du Canada ou de l’une de ses provinces en particulier. Il importe là aussi de le protéger pour qu’il ne tombe pas dans un piège tendu par une autorité pouvant user de moyens peu démocratiques, et bien entendu qu'on ne perquisitionne pas indûment son domicile.

Cela vaut d’ailleurs aussi bien au niveau du Canada, en général, qu’au niveau du Québec, en particulier, puisque, en l’actuel du droit canadien et du droit québécois, c’est le droit constitutionnel fédéral qui garantit et protège les privilèges, immunités et pouvoirs des membres des différentes assemblées parlementaires du Canada et de ses provinces, et parce qu’il est primordial de protéger la liberté d’expression de tout député, quelle que soit la vision des choses que l’on peut avoir par ailleurs. Par ailleurs, il est important que le gouvernement Charest, qui se dit légaliste et n’admet pas la désobéissance civile, respecte lui-même la loi canadienne, car ce serait contraire à ses propres principes, notamment celui de la primauté du droit et celui du respect des institutions.

Contrairement à ce que certains pourraient dire ou penser, les immunités parlementaires ne sont pas des privilèges passéistes ou exorbitants, qui ne devraient plus exister. Bien au contraire, ils constituent les fondements mêmes de toute démocratie moderne. Pour information, dans l’ensemble des provinces canadiennes, le droit des immunités parlementaires est régi par la Constitution du Canada et ses Principes sous-jacents, dont la Charte des droits implicite, ainsi que par divers autres textes, dont la Charte canadienne des droits et libertés, notamment ses articles 1, 2 c, 7, 9 et 52, et l’art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada.

Par ailleurs, ce droit a été constamment confirmé par les tribunaux canadiens, notamment par les paragraphes 32 et 33 du jugement de la Cour supérieure du 21 septembre 2010.

En tous les cas, face à la dérive démocratique que semble prendre le gouvernement Charest au provincial et celui de M. Harper au fédéral, l’arrestation de M. le député Amir Khadir soulève une grande question qui mérite réflexion de la part de tous ceux qui tiennent à la démocratie, que ce soit celle prônée par le gouvernement libéral actuel ou celle que souhaite le parti Québec Solidaire ou l’un ou l’autres des partis d’opposition. En d’autres termes, les immunités parlementaires constituent un dernier rempart contre toutes les éventuelles dérives actuelles et futures que peut commettre un gouvernement.

D’une manière générale, il est important de rappeler que, dans toute société libre et démocratique, un député est un représentant du peuple et qu'il bénéficie à ce titre de l'immunité parlementaire, pendant toute la durée de son mandat, et même après pour tous les actes et gestes découlant directement ou indirectement de ses fonctions, de la même façon qu'un ambassadeur bénéficie de l'immunité diplomatique dans tout état étranger où il exerce sa représentation et partout ailleurs où il peut séjourner, transiter ou voyager. Est-il besoin de rappeler à M. Charest que bafouer l’immunité d’un diplomate constitue une grave violation du droit public international, voire un acte de déclaration de guerre, au regard des conventions internationales régissant les rapports entre les États ?

Quoique les modalités pratiques varient plus ou moins selon les pays et les époques, tous les pays démocratiques reconnaissent l’importance de l'immunité parlementaire, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est pas pour rien.

Les raisons d’établir et de respecter les immunités parlementaires

Si M. Charest tient tant à faire respecter la loi coûte que coûte, il ferait bien de respecter lui-même ce droit fondamental et inaliénable de tout parlementaire dans toute démocratie digne de ce nom, car c'est la base même de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le judiciaire et le législatif, en plus d’être un principe constitutionnel reconnu et confirmé.

C’est d’ailleurs ce qui distingue, juridiquement et à toutes fins pratiques, les vraies démocraties des dictatures de toutes sortes. Quand il n'y a pas de séparation des pouvoirs, claire et précise, bien définie et bien équilibrée, à tous les niveaux et en toutes circonstances, on tombe dans l'arbitraire le plus absolu ou on devient une république de bananes.

De plus, c'est un droit strictement inviolable dans toute démocratie, pour diverses raisons, entre autres parce qu’il permet

1) d’assurer le bon fonctionnement et la pleine indépendance des assemblées politiques, qui sont la base de toute démocratie, et, d’une manière globale, d’assurer le fonctionnement même de la démocratie et le respect des institutions, y compris par les membres du gouvernement,
2) de mettre à l’abri les parlementaires de toutes poursuites civiles (ou même pénales, dans certains pays), dans le cadre de leur charge, afin qu’ils puissent poursuivre normalement et sans entraves le mandat qui leur a été confié par leurs électeurs, autrement dit pour ne pas leur faire perdre du temps et les détourner de leur mission,
3) de juguler a priori toutes mesures d'intimidation de la part du pouvoir politique ou des pouvoirs privés, groupes de lobbying ou individus, afin qu’ils puissent accomplir leur travail de parlementaire comme il se doit et sans être sous influence d’une manière ou d’une autre,
4) de les protéger contre toutes actions abusives, arbitraires, répressives, policières, administratives ou judiciaires que pourraient vouloir intenter contre eux soit le gouvernement ou l’une des autorités qui dépendent de lui, soit les tribunaux, soit de simples particuliers, afin qu’ils ne soient pas empêchés d’effectuer correctement et à plein temps leur travail,
5) de prévenir et d’empêcher toutes actions en responsabilité civile (ou morale), afin qu'ils n’aient pas d’autres préoccupations que celles de leur charge et qu’ils puissent conserver la paix de l’esprit et une certaine sérénité,
6) de les exempter. le cas échéant, de toutes conséquences juridiques ou autres, présentes ou à venir, aussi bien à titre personnel qu’au nom de leur assemblée ou de leur parti, celles que devraient normalement entraîner les actes accomplis par eux, y incluant leurs agissements, écrits et dires, si ces actes étaient répréhensibles ou punissables par une loi, un décret, un règlement, un arrêté municipal, une décision de justice ou une décision arbitrale, sauf dans des cas explicitement précisés (par ex. les diffamations, les crimes contre l'humanité, etc., ou l'incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination), afin qu’ils puissent conserver leur liberté d’opinion, dire les choses comme elles se passent, exprimer ce qu’ils jugent bon de signaler et faire progresser l’état de droit (quel que soit l’état actuel des mentalités), et aussi, entre raisons, afin qu’ils ne soient pas tenter de céder à la corruption ou la prévarication (car s’il est important de punir les coupables, il est aussi essentiel de mettre en place un système qui empêche toute infraction et tout dérapage), et surtout
7) de leur garantir une totale liberté de parole au cours des travaux parlementaires et dans toutes les activités de leur vie publique, notamment dans les meetings et sur la voie publique.

L’importance de respecter la conscience morale collective

Bien entendu, cette dérogation au principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, y compris les membres du gouvernement (sauf par ex. pour protéger un secret défense qui doit rester confidentiel ou pour préserver la raison d’état qui ne peut pas être rendue publique), n’a pas pour but de donner aux parlementaires des privilèges contraires aux principes de la constitution ou extensibles abusivement en prérogatives personnelles, mais est destinée à garantir la respectabilité la plus élevée à l’institution parlementaire et à assurer le plein respect qui doit être accordé aux valeurs collectives les plus hautes dans une nation libre et démocratique.

C’est d’ailleurs cette conscience morale collective, approuvée par une majorité de gens et au service du bien commun, au dessus des lois et de la constitution actuellement en vigueur, qui a permis à Martin Luther King, à Gandhi, à Nelson Mandela, et à plein d’autres leaders, de pouvoir accomplir ce qu’ils ont fait, et c’est aussi au nom de ces principes moraux intangibles qu’ont a pu condamner les Nazis, qui pourtant obéissaient aux lois de leur pays au moment des faits. Ce qui prouve bien que toutes les lois ne sont pas toujours justes et légitimes.

Faut-il rappeler aussi que les femmes ont dû lutter pour obtenir le droit de voter, le droit à l’avortement et plein d’autres choses qui étaient illégales auparavant ? Est-il besoin de rappeler que la ségrégation raciale était légale aux États-Unis, en Afrique du Sud et dans divers autres pays avant que la pression populaire arrive finalement à faire changer la loi ?

Si la désobéissance civile remet effectivement en cause une loi jugée injuste ou inacceptable et s’oppose donc à l’état de droit actuellement en vigueur, elle est par définition non-violente et par essence profondément démocratique si on considère qu’en tout état de cause le peuple est souverain en toutes choses. Vue sous un certain angle, c’est une expression de la citoyenneté, un acte d’affirmation du peuple par lequel il réaffirme son droit de pouvoir gérer son destin comme il l’entend et par lequel il rappelle aux députés qu’ils sont ses représentants et au gouvernement qu’il se doit d’agir pour le bien de chacun et dans l’intérêt de tous, sans privilégier seulement un tout petit groupe de personnes ou d’entreprises.

Si on peut contester ou reconnaître, selon les points de vue et les époques, cette forme d'action politique menée pacifiquement, au nom de l’intérêt de tous par un grand nombre de gens, elle est en tous les cas l’arme des sans armes.

Aussi, contrairement à ce que M. Charest veut faire accroire, la désobéissance civile, qui est seulement un moyen de pression pour faire changer les choses pacifiquement sans vouloir bouleverser l’ordre établi, ne peut pas être assimilée à une révolution, qui elle vise à changer le régime politique en place et peut être extrêmement violente, même si elle peut être aussi pacifique, comme l'ont été la Révolution des oeillets au Portugal en 1974, la Révolution de velours en Tchécoslovaquie en 1989, la Révolution orange en Ukraine en 2004 et la Révolution des Tulipes au Kirghizstan en 2005.

Si M. Amir Khadir est le seul député québécois à nous inviter à *réfléchir* à la désobéissance civile *sans violence*, d’autres députés étrangers n’hésitent pas à mener des actions plus ou moins foncièrement illégales, comme par ex. en France le député européen José Bové ainsi que diverses associations, comme par ex. l'ONG Greenpeace, que ce soit au nom d'un principe de précaution, de prévention ou d'abstention (comme par ex. ceux qui sont contre les OGM, contre le nucléaire, etc., ou contre l'exploitation du gaz de schiste), pour lutter contre une loi considérée inique, immorale ou outrancière (comme par ex. ceux qui s'opposent à l'avortement dans certains États américains), ou pour instaurer un nouvelle législation (comme par ex. le droit à un environnement sain).

Si la loi doit être respectée par principe, dans toute démocratie, parce qu'elle est l’expression de la volonté populaire représentée par ses élus et parce qu'elle a des raisons d'être (par ex. ne pas voler ou détruire le bien d'autrui pour ne pas porter atteinte au droit de propriété, ne pas traverser à un feu rouge pour ne pas causer un accident, manifester sans violence pour ne pas léser autrui, etc., et payer ses impôts pour pouvoir avoir des services sociaux et publics), on n'obéît pas à une loi simplement parce que c'est une loi, mais parce qu'elle a des fondements considérés comme valables, acceptables ou raisonnables par une majorité de gens à une époque donnée.

A part les rappels à l’ordre que les élus peuvent se voir éventuellement infligés, quand ils commettent des manquements à la discipline au sein leur assemblée parlementaire, la seule et unique responsabilité qu’ils peuvent ultimement encourir est une sanction politique, celle de ne pas être réélu. Et c’est d’ailleurs là que la responsabilité des députés prend tout son sens, à savoir, le contrôle de l’activité parlementaire par le corps électoral, et uniquement par lui.

Il importe de souligner également qu’un représentant du peuple n’est pas uniquement le représentant de son parti, ni simplement le mandataire de l’ensemble des électeurs de sa circonscription, ni de ceux qui l’ont élu, contrairement à tout ce qu’on peut entendre ici et là, mais qu’il est aussi le représentant de la collectivité nationale toute entière. Par ex., le député Amir a présenté un projet de loi visant à mettre en place Pharma-Québec qui concerne tout le monde et non pas simplement ses électeurs, puisqu’il y propose d’instituer un régime universel d'assurance médicaments et de créer une entreprise publique de production de médicaments génériques qui aurait pour effet de faire baisser le prix des médicaments.

Ainsi, par delà l’aspect juridique proprement dit, arrêter un député est extrêmement grave au plan démocratique, car ça revient au même qu’arrêter le peuple tout entier.

Autrement dit et pour conclure, dans tout pays démocratique, aucune arrestation d'élus ne peut avoir lieu, ni contrainte par corps, ni détention, ni poursuite, ni pendant les sessions, ni pendant toute la durée de la législature, en aucun cas ou sans une raison bien définie par la loi constitutionnelle, même si éventuellement l'immunité parlementaire peut tomber après un certain délai bien défini et sous certaines conditions bien précises.

En tout état de cause, il est important que ce soit à la cour suprême que revienne le soin de se prononcer, au préalable, sur le bien-fondé d’une accusation, et qu’une poursuite ne puisse être intentée le cas échéant contre un parlementaire qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il est membre, après examen du bien-fondé des motifs invoqués par les requérants.

Sans ces règles, le pouvoir législatif ne peut pas assurer son rôle de contre-pouvoir du pouvoir exécutif, les députés ne peuvent pas exercer leur mandat en toute liberté et en toute indépendance, et le bon fonctionnement du régime représentatif ne peut pas être assuré normalement et comme il se doit dans tout pays libre et démocratique.

Les récents évènements, à savoir la manière dont a été arrêtée la fille de M. Amir Khadir, la perquisition de son domicile familial et la divulgation de documents dans la presse, ne font que confirmer l’importance de protéger les députés.